Parfois redouté, souvent meublé, le silence et le temps qu’on lui consacre, en disent long sur le rapport que nous entretenons à l’un et à l’autre. En musique, il existe différentes figures de silence pour indiquer la durée de ces silences. On parle ainsi de pause, demi-pause, soupir et de demi-soupir. Des moments plus ou moins longs lors desquels l’ensemble des protagonistes de la relation s’abstiennent de parler.
Alors que mon intention était de vous partager mes réflexions quant aux bénéfices de consacrer du temps au silence « en présence d’autrui », je m’interroge soudain ! Quelles sont les conditions sonores dans lesquelles j’évolue en démarrant la rédaction de cet article ? Comme à mon habitude, un fond musical m’accompagne et puis, tout naturellement et en conscience, un temps de silence s’impose à moi et à Keith Jarrett.
Au début du silence
Marquer un blanc peut permettre de créer une respiration propice à oxygéner notre pensée et celle de nos interlocuteurs. Le silence permet de créer un espace favorable à l’élaboration, à l’introspection et à l’émergence. Et pourtant cet espace s’apparente parfois à un vide, source de vertige ou d’angoisse pour certains d’entre nous qui s’empressent alors, de le remplir à tout prix, pour ne pas sentir l’inconfort. Apprivoiser ce vide est souvent un chemin de développement, un chemin de soi à soi avant d’être un chemin de soi à l’autre. Peut-être avez-vous déjà observé une personne poser une question pertinente et pourtant, s’empresser d’en poser une seconde sans transition. Elle empêche ainsi son auditoire de répondre à la première et inconsciemment, évite ainsi le vide que cette question aurait peut-être généré. D’autres encore, observant un temps d’hésitation chez leurs interlocuteurs, remplissent parfois eux-mêmes le vide en répondant à la question qu'il vienne de poser. Autant de silences ruinés par des transactions inutiles que l’Analyse Transactionnelle peut nous aider à analyser. Drivers, méconnaissances, jeux psychologiques, structuration du temps et scénarios m’apparaissent comme autant d’options pour comprendre ces absences de soupirs et de pause au sein du processus relationnel.
Pendant le silence
Laisser un blanc permet à la fois de faire résonner et de raisonner. Laisser résonner en soi les derniers mots prononcés et raisonner, à partir de ce qui vient d’être dit ou de ce qui vient d’être ressentit.
Cornell et Bonds-White[1] soulignent que le silence du thérapeute permet au patient de vivre une liberté intrapsychique et associative propice à la découverte de soi et à une solitude constructive en présence de l’autre. Novak[2] ajoute que lors des moments de silence, les clients peuvent plonger pleinement dans leur esprit, dans leurs émotions et dans leur corps. Nous pouvons évidemment reprendre ces considérations à notre compte, dans le champ des organisations.
En tant qu’analyste transactionnel (T-O), je considère également certains silences comme étant des indicateurs d’une intervention efficace. Prenons ici l’exemple de l’intervention bernienne appelée confrontation. D’après Steiner et Dusay[3], celle-ci vise à secouer le Parent, l’Adulte ou l’Enfant contaminé en signalant une incohérence. Pour Berne[4] (2006), l’objectif thérapeutique de la confrontation est toujours de réinvestir la partie non contaminée de l’Adulte du patient, et le succès sera indiqué par un silence méditatif ou par un rire qui marque une prise de conscience.
Après le silence
Après le silence, les mots prennent de la valeur. C’est d’ailleurs un des credo de Manfred Eicher qui a créé le label de musique ECM, il y a plus de cinquante ans. Lorsque vous écoutez un disque de ce label, ce que vous entendez d’abord, c’est cinq secondes de silence. Ce qui faisait dire à son créateur : « ECM, c’est le son le plus beau après le silence ».
Soit c’est la personne accompagnée qui décide de sortir du silence, soit c’est à l’accompagnant de le rompre avec, à mon sens, une délicatesse proportionnelle à la durée de ce silence. J’utilise alors souvent le questionnement du langage non verbal et l’accueil en douceur de ce qui émerge. En groupe, lorsqu’un membre exprime une émotion et que celle-ci est accueillie par le silence de la part de l’auditoire, Erskine[5]considère que celui-ci est souvent perçu par l’intéressé, comme un manque de validation de son affect et de son identité. Pour l’auteur, le participant peut alors se mettre à douter de lui-même et de son propos, ce qui peut entrainer un stress interne, de la honte ou encore du repli sur soi. Comme il le précise, c’est à l’intervenant d’identifier ces silences et de les interpréter comme étant un manque de validation et d’encourager alors les membres à partager leurs réactions avec l’intéressé.
Enfin, en tant qu’analyste transactionnel en formation, j’apprends, comme le préconise Dewarrat[6], à chercher l’équilibre délicat entre les mots qui construisent la relation et le silence qui donne de la place à cette relation. Pour terminer, je choisis de redonner place à la musique de Keith Jarrett. C’est la plage onze du Concert de Bordeaux, sortit en 2022, sur le label ECM.
[1] Cornell W & Bonds-White F., L’être en relation thérapeutique en Analyse transactionnelle : la vérité de l’amour ou l’amour de la vérité., A.A.T. 2016/1, n°153, pp. 59-82. [2] Novak E., Modèle de contact physique réfléchi en psychothérapie, A.A.T. 2020/2, n°170, pp. 33-55. [3] Dusay J., Steiner C., L’Analyse Transactionnelle, Éditions universitaires Jean-Pierre Delarge, Paris, 1976 [4] Berne E., Principes de traitement psychothérapeutique en groupe, Caluire, Éditions d’Analyse Transactionnelle, 2006, pp. 241. [5] Erskine R., Le Processus relationnel de groupe : avancées pour un modèle de psychothérapie de groupe en Analyse Transactionnelle, A.A.T., 2015/3, n°151, pp. 19-42. [6] Dewarrat M., Aborder l’homme silencieux au cabinet, A.A.T., 2019/3, n°167, pp. 57-59.
Comments