Pendant très longtemps, jeune cadre dynamique, j’ai pensé que mon équipe et mes supérieurs m’évaluaient sur ma capacité à apporter des solutions. « Un mot, un geste », et je faisais le reste. Plus j’opérais ainsi, plus j’obtenais inconsciemment des signes de reconnaissance positifs et plus je me sentais important et compétent, aux yeux des différents protagonistes.
Avec le temps et l’intégration de l’Analyse Transactionnelle dans ma pratique, je compris que plus j’agissais ainsi, plus je me rendais indispensable en induisant chez l’autre, une relation de dépendance à mon égard. Dans le même temps, je le privais ainsi de progresser et de grandir en autonomie. Je méconnaissais tout simplement sa propre capacité de penser, d’élaborer des options et de choisir celle qui serait la plus adaptée à sa situation.
Comme le précise Schlegel[1] : «dans une relation symbiotique, une personne prend la responsabilité pour l’autre comme si cela allait de soi (donc en l’absence de tout accord préalable ou de nécessité), tandis que l’autre lui abandonne sa responsabilité tout en se comportant en « mineur psychologique » ». Il la décrit comme une relation où l’un des partenaires met en œuvre le Parent et l’Adulte et exclut l’Enfant, alors que l’autre active l’Enfant et exclut à la fois le Parent et l’Adulte. C’est ce qui a fait dire aux Schiff[2], « qu’une symbiose se produit quand deux individus se comportent comme s’ils ne formaient qu’une seule personne ».
Dans les milieux altruistes, comme le département infirmier d’un hôpital, je pose ici l’hypothèse d’une chaine symbiotique (illustrée ci-dessous) qui s’élabore en cascade à partir de la « prise en charge » des patients jusqu’au directeur infirmier. Il m’apparait important de préciser que, dans certaines situations de soins aigues, la relation symbiotique qui s’établit entre un patient affaibli et une infirmière est saine. Très souvent, à ce moment-là, le Parent et l’Adulte du patient sont hors service. Il est donc normal que l’infirmière lui fournisse la dose de Parent et d’Adulte dont il a besoin. Par contre, la reproduction de la relation symbiotique lorsque le patient n’est plus aussi dépendant ou lorsque l’infirmière tente, à son tour de se faire « prendre en charge » par son supérieur hiérarchique (l’infirmière en chef[3]), apparait comme un dysfonctionnement.
Dans un certain nombre de cas, cette infirmière en chef aura à son tour tendance à vouloir être prise en charge par son cadre intermédiaire[4] qui lui-même se positionnera en Victime par rapport à son directeur infirmier.
Soulignons ici les liens étroits entre le phénomène de sauvetage et de symbiose qui, dans les deux cas, témoignent de méconnaissances des capacités de l’autre. Aujourd’hui, je considère que deux phénomènes participent à sortir de ces schémas répétitifs ancrés dans l’histoire de cette profession. Le premier provient des patients (énergie émergente[5]) et des associations de patients qui revendiquent une considération des patients comme des partenaires de soins et d’autre part, une énergie planifiée en provenance de certains directeurs infirmiers qui visent à travailler avec les trois états du moi de ses collaborateurs qui, eux-mêmes, travaillent de plus en plus sur base contractuelle avec les infirmières en chef. Ces deux énergies convergent et font bouger les lignes dans le sens de l’autonomie de chacun des partenaires de soins. Au travers de cette double dynamique, il nous revient d’anticiper les difficultés qui seront de plus en plus vécues par les soignants et qui, à mon sens, nécessiteront un changement de posture et d’identité que nous nous devrons d’accompagner.
[1] Leonhard Schlegel, Relation symbiotique et attitude symbiotique, A.A.T., n°83, juillet 1997, pp. 86-90, Classiques n°6, p. 243-246. [2] Cite par Stewart et Joines, Manuel d’Analyse Transactionnelle, Interdéditions, 1991. [3] Ou « Cadre de proximité » [4] Ou Infirmier Chef de Services ou Cadre supérieur de Santé [5] En référence au modèle du Changement émergent développé par Madeleine Laugeri, Changement émergent et A.T. : les clés du dialogue hiérarchique, A.A.T. 120, 2006, pp. 53.
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